Giorgia Meloni : moi, fasciste et méchante

26 septembre 2025
Giorgia Meloni s’adresse aux journalistes à l’issue d’un sommet informel des dirigeants de l’Union européenne à Bruxelles, Belgique, le 18 avril 2024. © Alexandros Michailidis / EU Council.

ITALIE. Bientôt trois ans que Giorgia Meloni dirige le pays. Trois ans de « normalité » illibérale. Une lente glissade vers un pouvoir autoritaire, empaqueté dans le langage feutré de la responsabilité politique. L’Europe s’en était à juste titre inquiétée. Mais aujourd’hui la peur a disparu. Pire : une large partie de la presse bourgeoise française s’extasie et chante les louanges de celle qui, il y a vingt-neuf ans, expliquait que « Mussolini était un bon politicien. » Pendant ce temps, l’Italie régresse. Les droits sociaux s’effondrent, les conditions de vie se dégradent, le travail se précarise un peu plus chaque jour, et les minorités sont toujours plus violemment discriminées. Derrière les sourires hypocrites de Meloni et l’enthousiasme des marchés, c’est un pays entier qui est en train de périr.

La jeune Giorgia Meloni posant devant un drapeau d’Azione Giovani, mouvement de jeunesse de l’Alleanza Nazionale, parti héritier du MSI.

Dans le cas de la Présidente du Conseil, le terme « fasciste » n’est pas une figure de rhétorique visant à décrédibiliser un adversaire politique. C’est une description fidèle d’un héritage non seulement qu’elle revendique mais aussi qu’elle perpétue. Sa trajectoire en est d’ailleurs la preuve :  formée au Fronte della Gioventù, puis présidente d’Azione Giovani, sa formation politique s’opère dans la continuité du MSI, parti fondé par les héritiers de Mussolini. Aujourd’hui encore, les cadres de Fratelli d’Italia sortent en nombre de cette matrice. Pensons à Ignazio La Russa, président du Sénat et proche de Meloni, qui a chez lui un buste de Mussolini. D’ailleurs, le symbole du parti ne trompe pas : la flamme tricolore, héritée du MSI, orne toujours le logo. Les années de jeunesse de Giorgia sont aussi celles où elle fréquente Marcello De Angelis, ancien membre du groupe terroriste d’extrême-droite Terza Posizione et condamné à plusieurs années de prison, avant de devenir député et sénateur. De quoi comprendre pourquoi elle n’a jamais condamné le fascisme, ni cherché à le renier. Meloni refuse obstinément de se déclarer antifasciste, alors même que la Constitution italienne l’est. Derrière cette posture se dessine un nationalisme exacerbé, une vision organiciste de la nation comme un corps unique à défendre, une conception autoritaire de l’État où l’ordre, la sécurité et la discipline priment sur tout.


Bien sûr, le bruit des bottes résonne autrement aujourd’hui. Il est plus étouffé, plus insidieux, dissimulé dans les institutions et l’exercice du pouvoir. Si le monde paraît plus rassuré aujourd’hui, il ne faut pas s’y tromper : Meloni n’a pas modéré son idéologie, elle l’a seulement disciplinée. Une opération de « dédiabolisation », ni plus, ni moins. Pas d’attaques frontales comme en Hongrie ou en Pologne. La Présidente du Conseil préfère l’efficacité silencieuse : contrôle des communications gouvernementales, lois symboliques, répressions silencieuses, discours calibrés. Le décret Cutro a restreint le droit d’asile, les certificats de naissance d’enfants de couples homosexuels ont été annulés, le ministère de l’Éducation a été rebaptisé ministère de l’Instruction et du Mérite. Retenons aussi l’accès facilité des associations anti-avortement aux hôpitaux publics et aux centres IVG ou la criminalisation de la GPA jusque hors des frontières. Première femme à la tête de l’Italie certes, mais qui œuvre contre les femmes. À cela se joint une hostilité persistante contre les minorités (LGBTQIA+, migrants…) au nom de la défense d’une prétendue « identité italienne », des attaques répétées contre la presse, les intellectuels et les juges, une rhétorique anti-parlementaire vantant la nécessité et l’efficacité d’un exécutif fort « à la française », et la proximité assumée avec des groupes néo-fascistes comme CasaPound ou Forza Nuova.

Sur le plan social, le tableau n’est guère plus reluisant : inflation persistante, salaires stagnants, absence de salaire minimum, pénurie d’emplois, exode croissant des jeunes diplômés vers l’étranger et aucune politique sérieuse pour répondre à la crise de la natalité… Idem du point de vue de l’économie, où le bilan de Giorgia Meloni n’est pas aussi positif qu’on le laisse entendre. Certes, les indicateurs bruts sont flatteurs au premier regard : le déficit recule, le coût de la dette s’allège, le chômage officiel tombe à 6 %, son plus bas niveau depuis vingt ans. Près d’un million d’emplois créés en trois ans, ce dont le gouvernement se vante constamment. Mais cette dynamique ne relève pas tant d’un « miracle Meloni » que d’une conjoncture favorable : la reprise post-Covid et les 191,5 milliards d’euros du PNRR (plan de relance européen) ont dopé l’activité, puis l’austérité budgétaire du gouvernement a rassuré les marchés. Mais sous le masque des chiffres maquillés persistent de nombreux déséquilibres structurels. L’essentiel des nouveaux postes créés est occupé par des plus de 50 ans, souvent contraints de prolonger leur carrière face au durcissement progressif des conditions de départ à la retraite. Les créations d’emplois concernent principalement des secteurs peu qualifiés (tourisme, service) ou des industries à faible valeur ajoutée. De leur côté, les jeunes et les femmes demeurent les grands perdants : l’Italie affiche toujours le plus faible taux d’activité féminin de l’Union européenne, avec plus de 40% des femmes en âge de travailler inactives. Quant aux jeunes diplômés, ils désertent massivement le pays : près de 400 000 d’entre eux, âgés de 18 à 34 ans, ont quitté la péninsule en une quinzaine d’années (156 000 rien qu’en 2024, en hausse de 36,5% par rapport à l’année précédente), faute de perspectives de carrière. Malgré cette réalité bien plus morose, Giorgia Meloni n’a pas engagé une seule réforme de fond : ni pour l’intégration des jeunes sur le marché du travail, ni pour la lutte contre la pauvreté, ni pour renforcer les services publics. Sur le terrain fiscal, comme l’on peut s’en douter, le gouvernement a choisi de renforcer des dispositifs favorables aux plus aisés, comme le doublement du forfait fiscal pour les grandes fortunes étrangères, tout en durcissant les contrôles sur les allocataires sociaux. Autant de mesures qui traduisent une priorité donnée aux détenteurs de capital plutôt qu’aux travailleuses et travailleurs vulnérables.

Nonobstant leur bilan désastreux, Giorgia Meloni et son parti demeurent en tête des sondages. Et ce alors même qu’elle gouverne à rebours du programme sur lequel elle a été élue. Élue sur des promesses anti-européennes et anti-immigration, elle applique en réalité les directives de Bruxelles et recourt à une main-d’œuvre immigrée précaire et corvéable. Cette orientation devrait aussi décevoir son électorat d’extrême droite, puisqu’elle n’assume pas pleinement les engagements qu’elle avait brandis. Il n’en est pourtant rien. Mais si sa manière de gouverner s’avère moins radicale que son programme ne l’annonçait, elle demeure néanmoins profondément délétère pour une large part des Italiens, dès lors qu’ils ne sont pas riches et privilégiés.

Manifestation du Parti Démocrate devant le siège turinois de l’antenne locale de la RAI. Surnommée « Telemeloni » par ses détracteurs, la chaîne a été rappelée à l’ordre par l’AGCOM, aux côtés d’autres médias, et sommée d’assurer une couverture précise, équilibrée et impartiale en vue des référendums des 8 et 9 juin derniers.

Comment expliquer ce paradoxe ? Sans doute faut-il en chercher l’origine dans la théâtralisation du politique et la maîtrise totale de la communication. Sous son égide, la RAI est devenue ce que ses opposants appellent une véritable « Telemeloni. » Elle y a placé un grand nombre de fidèles et la chaîne historique est devenue, depuis trois ans, relais silencieux, mais redoutablement efficace, de sa propagande. La nomination de Gennaro Sangiuliano en est un exemple éclairant. Ancien ministre de la Culture, contraint à la démission après un scandale impliquant la nomination de sa maîtresse comme consultante ministérielle, il est aujourd’hui correspondant de la RAI à Paris. Conséquences de ces choix ? Journalistes et animateurs migrent vers la concurrence et les audiences s’effondrent. Mais, pour la Présidente du Conseil, détruire l’audiovisuel public semble un prix acceptable pour garantir ce contrôle de l’information. N’oublions pas le scandale de surveillance de journalistes et d’opposants politiques via le logiciel Graphite, développé par Paragon Solutions, qui a rompu son contrat après que le gouvernement italien a refusé toute vérification sur l’origine de l’espionnage, suggérant par là même sa propre implication.

Enfin, comme le rappelait il y a quelques semaines Michela Marzano dans une formidable tribune pour Libération, Meloni n’est ni Merkel, ni Thatcher : elle est pire. L’ombre du Ventennio n’a pas disparu : elle s’est métamorphosée, et Giorgia Meloni en est la porteuse disciplinée. Hélas, l’Europe s’habitue. Et c’est bien là le plus dangereux. Car si Meloni ne défie pas directement l’Union, elle la ronge de l’intérieur.

Mattéo Scognamiglio

Mattéo Scognamiglio a fondé la revue Divagations. Il collabore avec France Inter et la revue Esprit en France, et écrit pour les revues MicroMega et Limina en Italie. Il est diplômé de l'EHESS et de Sciences Po Saint-Germain-en-Laye.

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