Sur la tombe de Stendhal, au cimetière de Montmartre, se cache une erreur. Anecdotique pour certains, véritable trahison gravée dans le marbre pour d’autres, l’épitaphe sur sa stèle n’est pas celle que le plus italien des auteurs français avait imaginée.
Il avait pourtant tout prévu. Dans son testament, on retrouve les mots qu’il souhaite voir sur sa tombe : « Arrigo Beyle / Milanese / Visse / Scrisse / Amò / Morì di anni… / Nell’18… » Vivre, écrire, aimer : une certaine idée d’habiter le monde, de trouver le bonheur. Mais son cousin et exécuteur testamentaire, Romain Colomb, crut bon d’en modifier l’ordre. Par souci de forme, peut-être. Par inadvertance, sans doute. Nul ne le sait aujourd’hui. Quoi qu’il en soit, sur la stèle, l’inscription se lit ainsi : « Scrisse / Amò / Visse. » Et pour couronner le tout, on indiqua qu’il avait vécu cinquante-neuf ans et deux mois (« ANN. LIX M. II. »). Un détail d’état civil, que Stendhal avait expressément refusé.
Il y a en réalité quelque chose de profondément beau et poétique dans cette inversion. L’idée que l’écriture et l’amour précèdent la vie. Une forme de grâce, même : l’existence naît de ce que l’on crée et désire. L’erreur du cousin donne à l’épitaphe une beauté nouvelle, une poésie involontaire, presque romantique. Quelque chose de beau, certes, mais qui trahit Stendhal et travestit sa pensée et sa mémoire. Car l’auteur grenoblois voulait précisément l’inverse : la vie comme point de départ, comme élan premier, comme condition de tout le reste. Écrire et aimer n’avaient de valeur que s’ils étaient nourris par l’expérience du réel, traversés par la vie jusque dans la passion et la douleur.
Alors on imagine volontiers l’auteur du Rouge et le Noir lever les yeux au ciel. Lui qui voyait dans la vie une vocation en elle-même. Ses derniers mots trahis, son existence résumée à une biographie abrégée, à un état civil. La vie ramenée à une durée, la passion à une donnée. Sans doute est-ce justement là que se révèle toute l’ironie stendhalienne. Même mort, il a continué d’être incompris, ou plutôt mal compris. À croire que la postérité, comme l’amour, ne supporte pas la clarté : elle a besoin de corriger, d’inverser, de raturer. Au risque de trahir.
Après tout, sous le marbre, peut-être qu’Arrigo Beyle, milanais, sourit. Parce que la vie et la mort, qu’on les écrive ou non, finissent toujours par se moquer de l’ordre des verbes.
Instructif.