Ils sont revenus. Ce qu’il reste d’eux, du moins : silhouettes grisonnantes, arrogance intacte et mythe toujours aussi vivace. Oasis est remonté sur scène, convoquant l’imaginaire d’une époque révolue et exhumant une émotion collective dont on croyait avoir fait le deuil. À l’heure où la tendance est aux reformations, le retour du groupe britannique ne nous étonne presque pas, malgré la guerre fratricide des Gallagher. Au contraire, cette réunion était un rêve inavoué, peut-être même inavouable, un désir secret que, peu ou prou, chacun caressait en silence. Un retour qui rassure et qui flatte un désir de permanence dans un monde qui n’en propose plus.
La mécanique s’est enclenchée rapidement : une annonce, quelques mots dans la presse, et voilà la nostalgie lancée un an à l’avance. Les places se sont arrachées, les réseaux se sont émus, les t-shirts et les collaborations commerciales ont refleuri comme des reliques miraculeuses. Du côté des fans, il n’est plus tellement question d’aimer un groupe que de réintégrer une communauté perdue, d’éprouver à nouveau ce que l’on croyait à jamais réservé à notre jeunesse : le sentiment d’être enfin compris, de se sentir à sa place. L’occasion pour beaucoup de se faire une nouvelle coupe, de ressortir du placard les parkas kakis, les bucket hat et les vieilles Adidas.
De ce point de vue, le retour d’Oasis est un véritable cas d’école. Une fraternité brisée, une arrogance charismatique, un romantisme du désordre, et un retour inespéré. Le récit était prêt, il suffisait d’en activer le souvenir. Il nous est pourtant difficile de croire que ce retour relève en premier lieu d’une dimension musicale ou fraternelle. Malgré l’émotion, il faut se rendre à l’évidence : la nouvelle tournée semble s’engouffrer dans un phénomène plus large qui s’inscrit d’une forme de capitalisme mémoriel. Car la nostalgie est aujourd’hui une stratégie. Elle n’est plus seulement une émotion diffuse : elle s’est transformée en marché. Une économie du manque, patiemment cultivée, qui transforme les souvenirs en produits dérivés et les affects en billets VIP. Le passé devient un gisement exploitable, et plus il est personnel, plus il est rentable. Une annonce sur les réseaux sociaux et l’on se retrouve à réserver billets d’avions, chambre d’hôtel et tickets de concert. Le retour d’Oasis ne fait que rejouer ce scénario : les émotions sont authentiques, leur mise en scène est calculée.
Faut-il pour autant s’en offusquer ? Peut-être pas. Ce n’est certainement pas la première fois que la culture populaire est traversée par des logiques industrielles et mercantiles. Ce qui interroge davantage, peut-être, c’est cette ferveur immédiate, cette docilité collective avec laquelle on consent à l’événement. Comme si, dans un monde saturé d’incertitudes, revenir à Oasis était devenu un geste de confort, un réflexe presque identitaire. Mais que dit cette soudaine unanimité ? Qu’avons-nous perdu pour vouloir à ce point retrouver ce qui, précisément, n’existe plus ?
Pas question de mépriser ce retour par pur snobisme ou pas pureté militante, ni de pointer du doigt ceux qui s’en réjouissent. La musique d’Oasis, qu’on l’aime ou qu’on l’exècre, conserve cette force d’adhésion, ce grain brut, mal peigné, qui traverse les époques. Elle appartient irrémédiablement à une mémoire collective, dont elle est à la fois le vestige et le moteur. Mais peut-être gagnerait-on à interroger l’enthousiasme lui-même que suscite ce retour : pourquoi ce besoin si pressant de rejouer le passé ? Pourquoi cet engouement massif pour des reformations, des commémorations, des relectures ?
La nostalgie peut être un moteur. À condition de ne pas la transformer en roue de secours. Le danger : qu’à force de se réfugier dans l’hier, on laisse le présent se déliter sans même essayer de le penser. Oasis revient. Soit. Champagne supernova pour tout le monde. Mais à condition que ce comeback ne devienne pas l’alibi confortable de notre renoncement à fabriquer du neuf.
