Remèdes à la peste brune : 13 livres pour penser et combattre le fascisme

22 mai 2025
Cortège de manifestants devant la Sorbonne, le 29 mai 1968. Crédit : Bruno Barbey/Magnum Photos.

De quoi le fascisme est-il le nom ? Des critères de reconnaissance d’Umberto Eco au mode d’emploi ironique de Michela Murgia, en passant par les Cahiers de Gramsci, la Revue Divagations propose une sélection de 15 livres pour penser le fascisme, ses métamorphoses et ses formes contemporaines.

S’il ne porte plus de chemise brune, ni de bottes de cuir, le fascisme et les idéologies d’extrême-droite sont pourtant plus présentes que jamais aujourd’hui. Face à cette peste brune, il est urgent de se réarmer intellectuellement. La dénoncer ou s’en émouvoir ne suffit plus. La condamnation morale, aussi légitime et nécessaire soit-elle, n’est pas performative. Il faut des outils pour reconnaître l’ennemi et organiser la riposte. 

Le fascisme avance désormais à visage découvert. Il infiltre les mots, les habitudes, les écrans, les plaisirs. Il se recycle en pragmatisme sécuritaire, flatte les passions tristes, travestit l’Histoire et prêche le ressentiment et la haine. La résurgence de ces idéologies haineuses, de plus en plus embrassées et adoptées par une classe dominante qui ne s’embarrasse plus des principes républicains, exige que la grande famille de la gauche poursuive le combat.

Ces quinze livres, classés de manière non exhaustive et venus d’époques et de pays différents, forment autant de pistes et de clés de compréhension pour penser la vague brune, nommer l’ennemi et le combattre.  Ce ne sont pas des pansements : ce sont des armes.

Reconnaître le fascisme, d’Umberto Eco

Dans ce court texte devenu culte, Umberto Eco propose quatorze traits caractéristiques du « fascisme éternel » (ou Ur-fascisme), repérables bien au-delà des régimes historiques. Par sa clarté et sa lucidité, il offre un outil précieux pour reconnaître les signes avant-coureurs de l’autoritarisme dans nos démocraties contemporaines.

Cahiers de prison, d’Antonio Gramsci

Écrits depuis les geôles mussoliniennes, ces cahiers forment une réflexion fondamentale sur la culture, le pouvoir et l’hégémonie. Gramsci y développe l’idée que la bataille politique passe aussi par la conquête du sens commun. Une pensée antifasciste exigeante, toujours d’actualité dans les luttes contre les dominations culturelles.

Fascisme tardif, d’Alberto Toscano

Toscano propose une analyse approfondie de l’évolution contemporaine du fascisme. Il déconstruit l’opposition entre fascisme et démocratie libérale, révélant le fascisme comme un processus en perpétuelle mutation, enraciné dans le capitalisme racial et colonial qui précède et survit à sa cristallisation européenne des années 1940. En mobilisant un large éventail de pensées antifascistes, d’Ernst Bloch à Angela Davis, de Furio Jesi à George Jackson, ce livre fournit des outils essentiels pour une contre-attaque antifasciste au présent.

Devenir fasciste, mode d’emploi, de Michela Murgia

Derrière l’ironie de son titre, ce court essai en forme de pastiche révèle avec acuité les automatismes mentaux, langagiers et politiques qui préparent le terrain au fascisme. Murgia débusque dans le quotidien les signes d’une soumission volontaire, dans une Italie mais aussi une Europe tentées par l’autoritarisme.

Les nouveaux visages du fascisme, d’Enzo Traverso

Dans ce livre incisif, l’historien Enzo Traverso propose le concept de postfascisme pour penser les droites radicales contemporaines. Il en analyse les continuités et discontinuités avec les fascismes historiques, en mettant l’accent sur leur plasticité idéologique et leur modernité médiatique.

Les origines du totalitarisme, de Hannah Arendt


Classique incontournable, cet ouvrage explore les racines du totalitarisme à travers l’étude de l’antisémitisme, de l’impérialisme et des régimes nazi et stalinien. Arendt y développe la notion de « banalité du mal » et montre comment l’effacement de la réalité peut mener à l’acceptation de l’intolérable.

Pop fascisme, de Pierre Plottu et Maxime Macé

Enquête qui tente de comprendre comment l’extrême droite a conquis la bataille culturelle sur Internet. Les auteurs analysent la manière dont la « fachosphère » a utilisé les codes de la culture populaire en ligne pour diffuser des idées extrémistes, telles que le « grand remplacement » et l' »immigrationnisme », dans le débat public et médiatique. Ils examinent également le rôle des médias traditionnels, notamment ceux liés à Vincent Bolloré, dans la propagation de ces idées. Ce livre offre une plongée dans l’écosystème numérique de l’extrême droite et ses stratégies d’influence.

Une année de domination fasciste, de Giacomo Matteotti

Récit implacable de la montée du fascisme italien vu de l’intérieur du Parlement. À travers ses interventions et ses analyses, Matteotti dénonce les violences, la corruption et la menace fasciste. Quelques semaines après ce texte, il sera enlevé et assassiné. Un acte de lucidité et de courage politique.

Des électeurs ordinaires, de Félicien Faury

Entre 2016 et 2022, le sociologue Félicien Faury a mené une enquête de terrain dans le sud-est de la France, région historiquement ancrée dans l’extrême droite, pour comprendre les motivations des électeurs du Rassemblement national. À travers des portraits et récits incarnés, il met en lumière comment ces citoyens, souvent stables économiquement mais peu diplômés, perçoivent le monde social, leur territoire et les inégalités. L’ouvrage révèle que le vote RN est fondé sur un sens commun, constitué de normes majoritaires perçues comme menacées, et que le racisme, sous diverses formes, occupe une place centrale dans leurs choix électoraux. Cette enquête éclaire de façon inédite la diffusion quotidienne des idées d’extrême droite.

M, L’Enfant du siècle, d’Antonio Scurati

Fresque littéraire et documentaire, ce roman retrace l’ascension de Benito Mussolini à partir de documents d’époque. Scurati recompose le récit d’une tragédie collective dans un style haletant, tout en montrant comment le fascisme s’est construit non seulement par la force, mais aussi par la séduction.

Les irresponsables, de Johann Chapoutot

Dans cet essai percutant, Johann Chapoutot revient sur les derniers mois de la République de Weimar pour montrer comment les élites conservatrices et libérales ont consciemment ouvert la voie à Hitler. Par peur du peuple et pour préserver leurs privilèges, elles ont préféré pactiser avec l’extrême droite plutôt que de céder le pouvoir. Une leçon historique glaçante sur les dangers des renoncements démocratiques et des calculs politiciens à courte vue.

Hommage à la Catalogne, de George Orwell

Récit autobiographique de son engagement dans la guerre civile espagnole, Orwell y raconte les espoirs, les désillusions et les trahisons dans le camp antifasciste. Une plongée bouleversante dans l’histoire de l’antifascisme armé, entre lucidité politique et fraternité tragique.

Empire, de Toni Negri et Michael Hardt

Ouvrage théorique foisonnant, Empire propose une lecture du pouvoir globalisé comme forme nouvelle de domination post-étatique. Il appelle à penser une résistance immanente, décentralisée, contre les formes de contrôle contemporaines. Un outil stimulant pour penser l’antifascisme à l’ère néolibérale.

Revue Divagations

Divagations est une revue en ligne pensée comme un espace où la culture et les idées sont des piliers essentiels pour comprendre et interroger le monde contemporain.

2 Comments

  1. Les ouvrages sélectionnés semblent s’adresser à un public déjà sensibilisé.Pour toucher un public plus large il serait pertinent d’inclure des livres plus accessibles ou des formats différents comme des podcasts ou des documentaires. jp

Laisser un commentaire

Your email address will not be published.

Article suivant

Suzanne Valadon : renverser le male gaze

Article précédent

Anna de Noailles, l’ardeur de la bacchante

Dernières publications

« Infidèles » de  Tomas Alfredson : refaire Bergman

Adapter Bergman, il faut oser. Ce n’est pas uniquement convoquer l’ombre tutélaire du maître suédois, c’est aussi risquer au mieux l’embaumement, au pire la caricature. Et l’exercice devient encore plus périlleux lorsqu’il s’agit de porter à l’écran l’un de ses scénarios les

Giorgia Meloni : moi, fasciste et méchante

ITALIE. Bientôt trois ans que Giorgia Meloni dirige le pays. Trois ans de « normalité » illibérale. Une lente glissade vers un pouvoir autoritaire, empaqueté dans le langage feutré de la responsabilité politique. L’Europe s’en était à juste titre inquiétée. Mais aujourd’hui la peur

Ne cancellez pas le tiret cadratin !

Tombé en disgrâce depuis que son utilisation est systématiquement associée à ChatGPT, le tiret cadratin est pourtant une ponctuation irremplaçable. Véritable articulation du langage lui-même, loin des effets de style, il ouvre un espace que rien d’autre ne peut occuper. Le cadratin
Article suivant

Suzanne Valadon : renverser le male gaze

Article précédent

Anna de Noailles, l’ardeur de la bacchante

Don't Miss

« Fuori », de Mario Martone : Goliarda Sapienza en pointillés

À rebours du vacarme médiatique, entre cris au génie et

Suzanne Valadon : renverser le male gaze

Jusqu’au 26 mai 2025, le Centre Pompidou à Paris consacre