Frédéric Lo : retour en clair-obscur avec L’Outrebleu 

11 juillet 2025
Frédéric Lo au festival Chauffer dans la noirceur, juillet 2022. © Selbymay — Travail personnel

Avec L’Outrebleu, le musicien et producteur Frédéric Lo signe un retour tout en nuances, entre souvenirs flous, mélancolie filtrée et rock murmuré.

On l’avait laissé quelque part entre les hommages à Daniel Darc et les volutes d’absinthe de Peter Doherty, sur les falaises d’Étretat ou dans les recoins feutrés d’un studio parisien où se trament encore des miracles discrets. Frédéric Lo revient en solo avec L’Outrebleu, album somptueux, disque rare, comme on n’en fait plus ; ou comme on n’en écoute plus.

Lo parle bas. Et c’est précisément ce qui touche. Depuis des années, il file sa trajectoire en biais, loin des projecteurs mais au cœur du moteur. Réalisateur, arrangeur, compositeur, il a travaillé avec les grands : Stephan Eicher, Maxime Le Forestier, Christophe Honoré, Alex Beaupain, Alain Chamfort… et bien sûr Darc et Doherty. À soixante ans passés, il n’a plus rien à prouver, mais toujours quelque chose à dire. Et il le fait ici en treize morceaux discrets, cousus main, tendus vers l’intime, en équilibre sur le fil fragile de la mémoire.

L’Outrebleu est un disque hanté mais jamais pesant. Il y est question de visages effacés, de noms chuchotés, d’amours dissous, de départs sans retour. Pigalle en décembre, aparté instrumental et mélancolique, traîne sur les trottoirs froids de la ville, entre relents de regrets et néons blafards. Notre vie est voyage, en duo avec Robin Guthrie (Cocteau Twins), plane haut, quelque part entre rêve éthéré et spleen synthétique. Et puis Peter Doherty, toujours là, fidèle, en invité sur You Look Fresher Now, comme un écho londonien d’une complicité tenace. La voix est cabossée, mais traversée d’une tendresse émouvante. Entre autres titres, il déclare aussi son Amour des chansons tristes, ou bien cherche à Chanter où dort la tendresse, toujours avec tendresse et profondeur.

Tout est retenu chez Frédéric Lo. Pas d’envolées grandiloquentes, pas de posture. La beauté naît du détail : une guitare qui grésille, un piano qui hésite, une voix effacée par le vent. On pense à Souchon, à Dominique A, à Bashung parfois. Lo écrit à hauteur d’homme, pour ceux qui se tiennent un peu de travers, qui doutent mais avancent quand même.

Et ce bleu, alors  ? Il n’est pas qu’une couleur. Il est motif, atmosphère, température. L’Outrebleu, c’est ce qui reste quand la lumière s’en va. Le territoire de Lo : une carte postale intérieure, sans adresse ni destinataire. Un disque pour ceux qui aiment encore les albums — les vrais —, ceux qui se suivent comme une conversation qu’on n’ose pas interrompre.

Frédéric Lo, artisan d’un autre temps  ? Peut-être. Mais à l’heure où tout s’agite, lui choisit le pari du silence, de l’élégance, du grain. Il ne crie pas. Il murmure. Et c’est précisément pour cela qu’on tend l’oreille.

Revue Divagations

Divagations est une revue en ligne pensée comme un espace où la culture et les idées sont des piliers essentiels pour comprendre et interroger le monde contemporain.

Laisser un commentaire

Your email address will not be published.

Article suivant

« Fuori », de Mario Martone : Goliarda Sapienza en pointillés

Article précédent

Jay McInerney, roman américain

Dernières publications

Carla Lonzi : cracher sur Hegel, mode d’emploi

Années 1970. On s’incline presque religieusement devant les grands concepts hégéliens : la mécanique dialectique, la Raison dans l’histoire, le maître et l’esclave… Toute une liturgie théorique dans laquelle la gauche masculine aime se reconnaître, sûre d’elle, sûre de son cadre. Et

Yannick Haenel, corps à feu

« Yannick Haenel montre aux lassés des lettres du XXIe siècle ce que la matière textuelle peut encore faire d’inouï, pour et par les soleils noirs de nos vies. » Lorsque l’écriture n’est plus affaire de divertissement privé, et qu’elle fait œuvre,

Pasolini, notre contemporain

Cinquante ans après son assassinat, Pier Paolo Pasolini demeure une conscience vive et brûlante. Poète, romancier, cinéaste, dramaturge, il continue non seulement d’interroger notre monde, mais aussi de l’éclairer. Dans une société qu’il avait déjà pressentie, dévorée par le consumérisme et la

« Scrisse / Amò / Visse » : Stendhal et l’ultime trahison

Sur la tombe de Stendhal, au cimetière de Montmartre, se cache une erreur. Anecdotique pour certains, véritable trahison gravée dans le marbre pour d’autres, l’épitaphe sur sa stèle n’est pas celle que le plus italien des auteurs français avait imaginée.   Il

L’entêté : Macron, fossoyeur de la démocratie

Vendredi, 22h. Emmanuel Macro reconduit Sébastien Lecornu, son Premier ministre démissionnaire, son « moine soldat » qui jurait avoir terminé sa mission. Après une série de désaveux et d’échecs successifs, le président persiste et signe : il gouvernera avec les siens, envers
Article suivant

« Fuori », de Mario Martone : Goliarda Sapienza en pointillés

Article précédent

Jay McInerney, roman américain

Don't Miss

Parthenope, de Paolo Sorrentino : la beauté par-delà le sacré et le profane

On se plonge dans Parthenope avec le sentiment ambigu et

Lucio Corsi, bête de scène et conteur d’étoiles

Il débarque en costume lamé, santiags aux pieds, avec une