Avec L’Outrebleu, le musicien et producteur Frédéric Lo signe un retour tout en nuances, entre souvenirs flous, mélancolie filtrée et rock murmuré.
On l’avait laissé quelque part entre les hommages à Daniel Darc et les volutes d’absinthe de Peter Doherty, sur les falaises d’Étretat ou dans les recoins feutrés d’un studio parisien où se trament encore des miracles discrets. Frédéric Lo revient en solo avec L’Outrebleu, album somptueux, disque rare, comme on n’en fait plus ; ou comme on n’en écoute plus.
Lo parle bas. Et c’est précisément ce qui touche. Depuis des années, il file sa trajectoire en biais, loin des projecteurs mais au cœur du moteur. Réalisateur, arrangeur, compositeur, il a travaillé avec les grands : Stephan Eicher, Maxime Le Forestier, Christophe Honoré, Alex Beaupain, Alain Chamfort… et bien sûr Darc et Doherty. À soixante ans passés, il n’a plus rien à prouver, mais toujours quelque chose à dire. Et il le fait ici en treize morceaux discrets, cousus main, tendus vers l’intime, en équilibre sur le fil fragile de la mémoire.
L’Outrebleu est un disque hanté mais jamais pesant. Il y est question de visages effacés, de noms chuchotés, d’amours dissous, de départs sans retour. Pigalle en décembre, aparté instrumental et mélancolique, traîne sur les trottoirs froids de la ville, entre relents de regrets et néons blafards. Notre vie est voyage, en duo avec Robin Guthrie (Cocteau Twins), plane haut, quelque part entre rêve éthéré et spleen synthétique. Et puis Peter Doherty, toujours là, fidèle, en invité sur You Look Fresher Now, comme un écho londonien d’une complicité tenace. La voix est cabossée, mais traversée d’une tendresse émouvante. Entre autres titres, il déclare aussi son Amour des chansons tristes, ou bien cherche à Chanter où dort la tendresse, toujours avec tendresse et profondeur.
Tout est retenu chez Frédéric Lo. Pas d’envolées grandiloquentes, pas de posture. La beauté naît du détail : une guitare qui grésille, un piano qui hésite, une voix effacée par le vent. On pense à Souchon, à Dominique A, à Bashung parfois. Lo écrit à hauteur d’homme, pour ceux qui se tiennent un peu de travers, qui doutent mais avancent quand même.
Et ce bleu, alors ? Il n’est pas qu’une couleur. Il est motif, atmosphère, température. L’Outrebleu, c’est ce qui reste quand la lumière s’en va. Le territoire de Lo : une carte postale intérieure, sans adresse ni destinataire. Un disque pour ceux qui aiment encore les albums — les vrais —, ceux qui se suivent comme une conversation qu’on n’ose pas interrompre.
Frédéric Lo, artisan d’un autre temps ? Peut-être. Mais à l’heure où tout s’agite, lui choisit le pari du silence, de l’élégance, du grain. Il ne crie pas. Il murmure. Et c’est précisément pour cela qu’on tend l’oreille.