Erri De Luca et ses « Trois chevaux »

8 mars 2025

On ne présente plus l’écrivain napolitain aujourd’hui. Encore moins en France où son œuvre, merveille de poésie et de sensibilité, jouit de toute la reconnaissance qu’elle mérite, grâce notamment à l’admirable travail de traduction de Danièle Valin.

Il n’est pas rare qu’une sortie en librairie, au gré d’une errance, nous conduise à l’un de ses romans. Ce fut mon cas, un dimanche d’automne. Mes pérégrinations me conduisirent au 42, avenue Junot.  C’est à ce numéro que l’on pénètre dans la librairie L’Attrape-cœurs. Et c’est à ce numéro, sur l’étagère où il était délicatement inscrit « littérature italienne », que j’aperçus les Trois chevaux.

Ce roman est sans aucun doute l’un des plus aboutis d’Erri De Luca. Tous ses thèmes de prédilections y sont concentrés : l’amour, l’engagement politique, la poésie et la nature. Trois chevaux narre le parcours d’un homme qui a quitté Naples pour l’Argentine puis son retour, bien des années plus tard, dans son pays natal. Immigré par amour dans un pays gangréné par la dictature militaire, il a vu la femme qu’il aimait payer de sa vie le combat pour la liberté. Un homme lui confessera que la vie d’un homme dure autant que celle de trois chevaux. Le premier s’éteint tandis qu’il quitte l’Argentine. De retour en Italie, il vivra humblement comme jardinier, proche de la terre. Dans cette vie pourtant solitaire, il rencontrera Làila, dont il s’éprendra à sa manière. À l’issue du livre, il réalise que son deuxième cheval s’en est allé.

Erri De Luca livre un texte bouleversant où le passé se mêle au présent sans jamais l’ankyloser, où le souvenir n’est jamais entièrement une prison et ressurgit aussi pour mieux éclairer l’avenir. C’est un roman d’une grande économie, où chaque mot est juste et pensé. L’écriture se veut témoin du temps qui passe, de la mélancolie d’une existence à son crépuscule mais, avant tout, d’une célébration de la vie et de la nature.

Mattéo Scognamiglio

Mattéo Scognamiglio a fondé la revue Divagations. Il collabore avec France Inter et la revue Esprit en France, et écrit pour les revues MicroMega et Limina en Italie. Il est diplômé de l'EHESS et de Sciences Po Saint-Germain-en-Laye.

Laisser un commentaire

Your email address will not be published.

Article suivant

Blessé à mort : réhabiliter La Capria

Article précédent

Jean d’Ormesson et l’agrégation de philosophie

Dernières publications

Carla Lonzi : cracher sur Hegel, mode d’emploi

Années 1970. On s’incline presque religieusement devant les grands concepts hégéliens : la mécanique dialectique, la Raison dans l’histoire, le maître et l’esclave… Toute une liturgie théorique dans laquelle la gauche masculine aime se reconnaître, sûre d’elle, sûre de son cadre. Et

Yannick Haenel, corps à feu

« Yannick Haenel montre aux lassés des lettres du XXIe siècle ce que la matière textuelle peut encore faire d’inouï, pour et par les soleils noirs de nos vies. » Lorsque l’écriture n’est plus affaire de divertissement privé, et qu’elle fait œuvre,

Pasolini, notre contemporain

Cinquante ans après son assassinat, Pier Paolo Pasolini demeure une conscience vive et brûlante. Poète, romancier, cinéaste, dramaturge, il continue non seulement d’interroger notre monde, mais aussi de l’éclairer. Dans une société qu’il avait déjà pressentie, dévorée par le consumérisme et la

« Scrisse / Amò / Visse » : Stendhal et l’ultime trahison

Sur la tombe de Stendhal, au cimetière de Montmartre, se cache une erreur. Anecdotique pour certains, véritable trahison gravée dans le marbre pour d’autres, l’épitaphe sur sa stèle n’est pas celle que le plus italien des auteurs français avait imaginée.   Il

L’entêté : Macron, fossoyeur de la démocratie

Vendredi, 22h. Emmanuel Macro reconduit Sébastien Lecornu, son Premier ministre démissionnaire, son « moine soldat » qui jurait avoir terminé sa mission. Après une série de désaveux et d’échecs successifs, le président persiste et signe : il gouvernera avec les siens, envers
Article suivant

Blessé à mort : réhabiliter La Capria

Article précédent

Jean d’Ormesson et l’agrégation de philosophie

Don't Miss

L’autorité disparue ? Réflexions sur la notion d’autorité chez Hannah Arendt

         En 1954, Hannah Arendt consacre un article de La

L’entêté : Macron, fossoyeur de la démocratie

Vendredi, 22h. Emmanuel Macro reconduit Sébastien Lecornu, son Premier ministre