À rebours du vacarme médiatique, entre cris au génie et cris d’orfraie, Fuori de Mario Martone avance en faux-semblant : un film imparfait, traversé de failles, mais aussi porteur d’éclats inattendus et de fulgurances. Adapté du récit L’Université de Rebibbia (Le Tripode, 2013), où Goliarda Sapienza raconte son bref séjour en prison et ses liens d’amitié avec ses codétenues qui perdurent après la détention, ce film interroge par son ambition formelle et son refus d’un biopic académique, sans toujours trouver cohérence narrative à la hauteur.
Ce qui nous frappe d’abord dans Fuori, c’est son usage subtil des espaces : la chaleur écrasante de la Rome estivale, les extérieurs ouatés de Trastevere et Parioli, et le contraste brutal de l’univers carcéral de Rebibbia, reconfiguré en lieu de fraternité féminine où les corps reprennent souffle et les identités se redéfinissent. La narration même du film se fait témoin de ce contraste. La non-linéarité assumée, partagée entre le présent et le passé, l’enfermement et la liberté, structure le film sans jamais vraiment le cloisonner. Néanmoins, à force de suivre ces lignes sensibles et périlleuses, Fuori se dérobe sur le fond. Au-delà des belles images et de quelques fulgurance — Martone sait faire —, il en ressort un récit trop filamenteux, presque évanescent, qui frôle parfois le brouillon : la dimension politique de la L’Université de Rebibbia est trop effacée ; et la reconstitution de l’héritage intellectuel de Sapienza se perd trop souvent dans des méandres contemplatifs ou superficiels. Ainsi se retrouve-t-on, un brin désarçonné, face à un film qui avait tout pour s’acccomplir pleinement mais qui demeure inabouti, irrésolu, comme s’il n’avait pas osé aller jusqu’au bout de lui-même. Restent alors des spectateurs hypnotisés par la puissance visuelle mais frustrés par un propos en filigrane.

À l’image de son titre (dehors en français, NDLR), Fuori se tient résolument hors champ, en marge des attentes. Il échappe à tout cadrage, oscillant entre fougue et retenue, narration éclatée et fulgurances cinématographiques et poétiques. Il ne cherche ni la clarté ni la linéarité : il préfère l’ellipse à l’explication, l’émotion brute à la démonstration. Fuori assume ses silences, ses trous noirs, ses déséquilibres. Et c’est là, précisément, qu’il puise ses éclats les plus justes, mais qu’il se perd aussi, souvent, dans un vacillement qui frôle l’abandon. Une chose demeure toutefois : la volonté de mettre en scènes des figures féminines puissantes vulnérables, résistantes et insoumises, loin des stéréotypes essentialisants contemporains. En donnant vie à ses personnages forts, les corps de Golino, De Angelis et Elodie incarnent cette poétique du dedans-dehors : le récit devient geste, chorégraphie fragile d’une libération intime.
Finalement, à l’image des réactions qu’il a suscitées, Fuori se situe dans un espace instable : ni la catastrophe annoncée par certains critiques, ni l’éloge excessif de leurs confrères plus indulgents. C’est un film imparfait, assurément : la narration vacille, le propos ne s’impose jamais vraiment, et l’élan intellectuel reste pour l’essentiel en retrait. Et pourtant, c’est dans ce qui se tait, dans les silences et les zones d’ombre que quelque chose persiste. Fuori ne se donne pas immédiatement, il s’insinue, lentement. Il travaille en sourdine et reste dans les esprits, en dépit de ses failles. Et c’est peut-être, justement, entre ces failles que l’on arrive à se souvenir de ce que cherche à nous dire Mario Martone : la mémoire indicible mérite et réclame encore que l’on parle d’elle. Pour résonner au-delà des certitudes. Pour continuer à déranger.
