Invité à Rome à l’occasion du festival Libri Come, l’écrivain français a lu, pendant plus d’une heure, l’Autoportrait d’Édouard Levé.
Particulièrement apprécié en Italie, Emmanuel Carrère était l’une des têtes d’affiche du festival romain Libri Come, qui s’est tenu du 21 au 23 mars dernier. À l’occasion de la parution d’Autoportrait (Autoritratto, Quodlibet, trad. Martina Cardelli) en italien, l’écrivain français a rendu hommage à son ami disparu en 2007 en lisant un extrait de cette œuvre conceptuelle et percutante.
Durant plus d’une heure, Carrère a captivé le public de l’Auditorium Parco della Musica di Roma et a permis de faire connaître la figure singulière, mélancolique et discrète qu’était Édouard Levé. Lorsqu’il a appris sa mort, l’auteur de V13 était à la Villa Médicis, où il devait donner une lecture. Bouleversé par la nouvelle, il avait finalement décidé de lire Autoportrait à la place. Vendredi dernier, c’était donc la seconde fois qu’il le lisait publiquement. Et de nouveau à Rome. Comme une sensation de boucle bouclée.
Autoportrait, une exploration expérimentale, subtile et introspective de l’identité et de l’existence humaine
Publié en 2005, Autoportrait d’Édouard Levé est un texte subtile et introspectif, résolument expérimental, sur l’identité et la condition humaine. L’artiste pluridisciplinaire — à la fois peintre, photographe et écrivain — fait le choix audacieux de s’émanciper des codes habituels de l’autobiographie. Il n’est pas ici question de souvenirs, d’anecdotes ou de faits marquants de sa vie. Au contraire, il se décrit par une série d’affirmations factuelles, distillant des informations son apparence, ses habitudes, ses goûts, et ses préoccupations. Cette approche, volontairement objective et détachée, traduit une volonté de compréhension de soi tout en déconstruisant les artifices de la mise en scène de l’identité personnelle. Édouard Levé explore ainsi des thématiques importantes à travers son autoportrait : la mémoire, la subjectivité, l’aliénation, mais aussi la manière dont le regard d’autrui participe à la construction de soi. La froideur apparente du texte, oscillant entre faits bruts et autosuggestions, interroge le lecteur sur la nature même du récit autobiographique. Loin de toute construction narrative et mythifiée, l’autoportrait devient dès lors un miroir fracturé, où l’identité est multiple, insaisissable, voire paradoxale, révélant toute la complexité d’un individu. Malgré le style brut et aux allures froides, Édouard Levé n’en demeure pas moins intense et saisissant, et parvient à toucher son lecteur en plein cœur.